Dimanche 5 mai, à Toulouse, Paul Rivenc s’en est allé. Son histoire dépasse celle d’un universitaire et d’un chercheur en didacticien des langues d’exception, évidemment peu connu du grand public. Mais c’est pourtant un peu grâce à lui qu’aujourd’hui la langue française est l’une des plus enseignées de par le monde.
Nous sommes dans les années 1950. La langue française croit rester celle de la diplomatie et des hauts pouvoirs, à l’instar d’un empire français qui pourtant va s’effondrer. Stéphane Hessel en a le pressentiment : après deux années parti en poste à Saïgon, à la suite de la chute du cabinet de Pierre Mendès-France dont il est l’un des proches, il revient en France en 1957, détaché à l’Éducation Nationale comme directeur de la coopération, à Paris. Poste qu’il occupe pendant 5 ans (de 1958 à 1963). Il s’ouvre d’un projet au Général de Gaulle : comme la France va se réduire, il conviendrait que la langue française continue sa capacité à s’étendre. Excellente idée : à vous de trouver les équipes pour ce faire. C’est à l’Ecole Normale Supérieure de St Cloud que Stéphane Hessel dirige ses recherches.
Il y a là Georges Gougenheim (1900-1972) à qui a été confiée l’élaboration d’un « français élémentaire » (1954) vite rebaptisé « fondamental » (1958). L’illustre linguiste a mené cette entreprise avec un jeune normalien, brillant, charismatique, travailleur, tout droit venu de son Occitanie natale : Paul Rivenc. Double révolution. D’abord dans la conception d’une langue française qui n’a pas sa base que dans l’œuvre de Racine ou Voltaire, mais dans l’usage ordinaire des gens qui la parlent. Et puis dans la vaste enquête, totalement pionnière, sur ce qui est à l’époque le plus vaste corpus oral enregistré. Des enjeux de politique linguistique, des idéologies de la langue, des options éducatives se trouvent d’un coup au centre de débats publics et académiques dont on a oublié aujourd’hui l’intensité et la violence. Travailler de manière systématique sur l’oral bouscule des positions et des représentations établies depuis toujours dans le champ de la linguistique comme dans celui de l’enseignement, On ne parle pas français comme dans un livre, mais on parle français pour communiquer, pour penser le monde d’aujourd’hui et de demain. Le français n’est pas réservé qu’aux beaux esprits, mais à des millions de locuteurs.
Suite à ce premier objet, Gougenheim et Rivenc créent en 1959 le Centre de recherche et d’études pour la diffusion du français (CREDIF) 1959) dont l’objectif est de répondre à la demande ministérielle d’établir une progression lexicale et syntaxique facilitant la diffusion du français à l’étranger, à partir d’un corpus d’énoncés oraux. Le rôle du CREDIF sera particulièrement important pendant près de quatre décennies où il sera un des seuls en France, avec le Bureau pour l’enseignement de la langue et de la civilisation françaises à l’étranger (BELC) à mener des recherches, des formations, des créations de méthodes, sur ces sujets. Paul Rivenc en est, jusqu’en 1965, le premier directeur. Il se dépense en inventivité pour développer formations et méthodes, manuels et théories didactiques qui révolutionnent l’enseignement des langues et contribuent à établir le socle de ce que l’on appelle désormais le « FLE », Français Langue Etrangère.
Paul Rivenc est amoureux des langues, notamment des langues romanes. Il raconte que dans son enfance paysanne à Carmaux, patrie de Jean Jaurès, il a appris à lire le français sur les genoux de son grand-père qui lui lisait le journal … en occitan, sa première langue. Né en 1925, Paul Rivenc a connu du côté zone libre ce qu’étaient les privations de la guerre et le désir farouche de résistance, arme à la main s’il le faut. Enfant du peuple, il gravit les échelons : le lycée, puis l’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud, Graal de la méritocratie républicaine d’alors. Suite à l’aventure fondatrice du « Français Fondamental », il dirige un Espagnol Fondamental puis un Portugais Fondamental. Il multiplie la création de méthodes, de ressources, de formations en France et de par le monde. La théorie ne vaut que par son application pratique. Méthodique tout autant qu’inventif, généreux tout autant que réaliste, Paul Rivenc se fixe à l’université de Toulouse-le-Mirail (actuelle Jean-Jaurès) dont il sera vice-président de longues années.
L’homme, jusqu’à son dernier souffle, aura été un humaniste accompli, attentif et malheureux aux malheurs du monde, mais plein d’espoir en la jeunesse. Nous rendons hommage à son épouse, Marie-Madeleine, et à ses trois enfants, Eliane, Françoise et Jean.
Daniel Coste, Pierre Escudé