L’ADEB aura 20 ans dans un peu plus d’une année et voilà qu’on me demande, sous prétexte que j’en fus à l’origine et premier président,d’écrire quelques mots à propos de sa genèse et de ses premiers moments, pour insertion dans le blog de l’excellent site internet de ladite association. J’ai un peu hésité à répondre positivement, me méfiant de ma mémoire défaillante et compte tenu de mon grand âge, mais comment refuser !
C’est donc en 2003 que je crée une association à but non lucratif ayant pour objectif de favoriser le développement de l’enseignement bilingue. J’étais en « retraite » depuis quelque temps en tant qu’Inspecteur de l’Éducation nationale, mais souvent sollicité pour participer à des colloques, séminaires ou autres réunions concernant le fonctionnement des écoles, collèges et lycées français à l’étranger et plus spécifiquement à propos de la formation des enseignants de ces établissements bilingues. Le sujet le plus souvent abordé était clairement celui des spécificités des pratiques pédagogiques en classe des deux langues utilisées dans les apprentissages.
Mais pourquoi me sollicitait-on ? Sans doute parce que l’enthousiasme avec lequel j’avais passé mes douze dernières années professionnelles à travailler dans le réseau de ces établissements français à l’étranger m’avait conduit à organiser en faveur des enseignants de ceux-ci de très nombreuses coordinations et formations, à engager avec eux de modestes « recherches/actions », à faire connaitre bon nombre d’expérimentations originales, à écrire de nombreux articles avec quelquefois des titres provocateurs du type « On n’apprend à lire qu’une fois » ou bien « On apprend mieux à lire avec deux langues »
«Jeune retraité », j’apparaissais donc comme disponible pour relater mon expérience au sein d’un réseau d’établissements scolaires où une spécificité importante était bien de travailler en deux langues, sachant que les méthodologies utilisées étaient pour le moins très variables et en tous cas fort discutées.
Oui, c’est vrai que ces dernières années professionnelles m’avaient passionné ; je me souviens avec beaucoup d’émotion de ces années de travail hors de France. Après une carrière d’inspecteur d’éducation nationale en France assez peu orthodoxe (inspecteur en circonscription, très vite chargé de formation dans les anciennes écoles normales, puis nommé à Paris au centre national de formation des futurs inspecteurs), j’avais en effet choisi de me porter candidat à un poste, paru au journal officiel, d’inspecteur en résidence à l’étranger (le premier du genre), ayant pour fonction de mettre en place, animer, coordonner la formation d’enseignants dans les établissements scolaires français hors de France. Je me rappellerai toujours mon arrivée en 1986 au lycée français de Madrid (plus de 3000 élèves) où on avait installé mon bureau dans une classe, en plein milieu de l’école maternelle de l’établissement. Tout était nouveau pour moi : je ne connaissais rien des pratiques scolaires de ces établissements, je n’avais jamais entendu parler de FLE, FLS, du CREDIF, etc. Je découvrais tout, j’avais toute la journée autour de moi des enfants et enseignants qui vivaient leur quotidien en deux langues au moins (quels fabuleux moments à la cantine ou dans les cours de récréation !). J’étais véritablement en permanence immergé dans le bi/plurilinguisme.
Mais alors comment exercer mon métier d’Inspecteur ?
Comment enseigner en classe dans ce contexte ? Quelle formation pour les enseignants ? Je ne savais pas faire, mais vraiment pas du tout.
Et par ailleurs, pas de consignes particulières, pas de collègues avant moi sur ce type de poste en résidence, et pas non plus de directives particulières du Ministère des Affaires étrangères (le haut responsable qui m’avait reçu dans ce ministère après ma nomination m’avait demandé avec finesse et humour « d’inventer » mon nouveau métier, dans ce contexte). Par ailleurs, l’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger) n’existait pas encore pendant les quatre premières années de mon séjour à l’étranger. Depuis toujours, chaque établissement travaillait à sa manière, soucieux de garder son indépendance, ce qui générait quelquefois des fonctionnements pédagogiques discutables, mais la dominante dans tous les cas était clairement de ne pas « mélanger » les langues, les deux langues d’enseignement se devaient d’être soigneusement séparées.
J’ai donc dû inventer mon nouveau métier d’inspecteur (une chance ?) et avec grand plaisir, même si je ne me suis pas fait que des amis…
J’ai immédiatement fait de nombreuses recherches bibliographiques, car les classes bilingues existaient depuis longtemps bien sûr dans d’autres contextes, comme au Canada notamment. J’ai beaucoup lu, beaucoup appris ; j’ai rencontré au cours des stages que j’organisais (sur place et en regroupements) de nombreux universitairesspécialisés dans le champ de l’enseignement bilingue (je ne peux les citer tous, je le regrette d’ailleurs, beaucoup sont devenus des amis), j’ai aussi mis en place plusieurs mini recherches/actions, mis en œuvre un journal régulier pour faciliter les coordinations etc. ; que de bons souvenirs…
Ensuite ? Au retour de ces six années passées ainsi hors de France, j’ai naturellement souhaité continuer à m’occuper de ces problèmes ; j’ai été détaché au ministère des Affaires étrangères, chargé de la coordination dans le monde de la politique de diffusion du français, en étroite relation avec l’AEFE naissante, les Instituts français à l’étranger, les réseaux d’établissements scolaires de la Mission laïque, etc. Et cela m’a occupé encore six ans.
Après ces quelques témoignages, naturellement bien subjectifs, on comprend mieux sans doute pourquoi, dès mon entrée « en retraite », on me sollicitait pour continuer des formations… que je ne pouvais pas vraiment assumer, souvent par incompétence, mais aussi par manque de temps.
D’où l’idée (que des enseignants rencontrés en stage m’avaient souvent suggérée) de créer une association pour continuer à répondre aux demandes de formation. Je connaissais beaucoup de monde, mais comment et où fédérer des volontaires pour continuer à développer la formation des enseignants d’établissements bilingues de plus en plus nombreux ?
Alors j’essaie… je fais les démarches pour la création d’une association, qu’on appellera ADEB… et que j’allais domicilier dans mon petit studio parisien de la rue de la Huchette, avec une poignée d’adhérents au départ, pour moitié d’ailleurs enseignants du primaire et secondaire, travaillant ou ayant travaillé dans des établissements bilingues, mais aussi bien sûr quelques fidèles ami(e)s universitaires de France et de pays voisins qui m’avaient tant aidé tout au long de mes premiers balbutiements dans ces réseaux des enseignements bi/plurilingues.
Et ça a marché… L’ADEB continue, elle est en bonne santé.
Une belle aventure, vraiment.
Je ne vais pas faire bien sûr l’inventaire de tout ce qui a été fait depuis bientôt 20 ans, ce n’est pas le sujet, mais simplement me demander si j’ai bien répondu à la demande qui m’était faite d’expliquer un peu les origines de l’ADEB…
Mais je veux dire en tous cas que ce rapide papier est une belle occasion pour moi de remercier tous les complices adhérent(e)s avec qui j’ai tant aimé travailler, en félicitant aussi les plus jeunes qui ont pris la relève et continuent à faire que l’ADEB soit bien vivante, malgré les difficultés que l’on connait.
Ceci étant, je me suis souvent interrogé…
Comment ai-je pu créer une association centrée sur le développement d’un enseignement bi/plurilingue alors que j’étais, en tout début de carrière, professeur titulaire de Sciences naturelles (SVT aujourd’hui), après une formation universitaire ordinaire, spécialisée d’ailleurs en fin de cursus en physiologie végétale, comment donc l’expliquer alors que je n’avais pas fait d’études spécifiques en langue française ou étrangère…
Autrement dit, comment un prof de « discipline dite non linguistique » (DdNL, comme on dit à l’ADEB), un « non linguistique » par conséquent, pouvait-il créer une association qui veut développer l’enseignement en deux ou plusieurs langues dans les établissements d’enseignement ?
Mais si, bien sûr, c’est possible ! et l’ADEB le sait : l’enseignement bi/plurilingue n’a pas pour unique fonction d’améliorer la qualité de l’enseignement des langues !
Toutes les disciplines sont gagnantes…
Vive l’enseignement bi/plurilingue !