Nous avons appris avec tristesse le décès, fin juillet, de Georges Lüdi, professeur émérite de linguistique française à l’Université de Bâle. Venu d’une tradition philologique de la romanistique marquée dans cette université par les travaux de Walter von Wartburg, auteur du fameux FEW, Französisches etymologisches Wörterbuch : eine Darstellung des galloromanischen Sprachschatzes (Dictionnaire étymologique du français : une représentation du trésor lexical galloroman), Georges Lüdi s’est intéressé à la sémantique lexicale mais s’est très tôt orienté vers l’étude des contacts de langues, notamment mais non exclusivement dans le contexte de la Suisse multilingue.
Avec Bernard Py, disparu en 2012, il avait publié en 1986 Être bilingue, ouvrage à bien des égards fondateur et d’influence durable (une quatrième édition en a été publiée en 2014). Sensible aux évolutions dans le domaine des langues, dans les conceptions de leur acquisition et de leurs usages plurilingues dans différents contextes professionnels et institutionnels, Georges Lüdi était devenu une figure majeure du champ académique et social des travaux sur le plurilinguisme et de leurs enjeux. Il a entre autres présidé le groupe d’experts chargé d’élaborer un « Concept général pour l’enseignement des langues en Suisse » et co-dirigé le vaste projet de recherche européen DYLAN qui « visait à identifier les conditions dans lesquelles la diversité linguistique de l’Europe est un atout pour le développement de la connaissance et de l’économie. »
Il nous faut également rappeler son engagement social exercé à travers son expertise : nous lui devons en effet, parmi d’autres travaux, les remarquables Réflexions sur la place de la langue dite maternelle dans l’enseignement scolaire, éditées en annexe du Rapport de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation (Doc. 10837 – 7 février 2006, La place de la langue maternelle dans l’enseignement scolaire).
Compagnon de route de l’ADEB, il avait participé à notre journée de travail de 2019, à l’INALCO. Son texte, « Mise en œuvre et représentations de répertoires plurilingues » que l’on lira sur le site de l’ADEB, apporte en conclusion la même détermination sereine et évidente : « Une majorité des êtres humains est plurilingue ou vit dans des contextes multilingues. Or, cela confère aux individus concernés des avantages cognitifs et sociaux confirmés. Par exemple dans le monde du travail. »
Au-delà de ses mérites académiques, qu’il me soit permis d’exprimer quelques pensées personnelles à propos de Georges. Il m’est difficile de me souvenir du moment où j’ai rencontré Georges pour la première fois. Cela remonte sans doute au milieu des années 1980, aux colloques d’alors sur le développement bilingue et dans le projet de la Fondation Européenne de la Science sur l’acquisition des langues par les adultes migrants (dont il présida le comité de pilotage). A mes yeux, il avait alors l’autorité et le prestige du romaniste philologue et j’étais intrigué qu’il s’intéresse à l’appropriation spontanée des langues en milieu naturel. Au fil des années et de nombreuses rencontres, j’ai eu matière à ne plus m’étonner de retrouver Georges, avec son enthousiasme sérieux et sa volonté de convaincre, là où on ne l’attendait pas et pourtant toujours au bon endroit, de ceux où ça bouge et où il y a des enjeux forts.
Daniel Coste